Avec Christmas – publié par les éditions new-yorkaises Eakins Press Foundation – Lee Friedlander transforme l’une des fêtes les plus universellement célébrées en un théâtre visuel où le kitsch, la surcharge et la tendresse cohabitent sans jamais vraiment se toucher. Publié à partir d’un corpus de photographies prises sur plusieurs décennies, le livre rassemble ce que l’artiste sait faire de mieux : observer l’ordinaire jusqu’à ce qu’il devienne étrange. On y retrouve les ingrédients classiques du regard friedlandérien : compositions fragmentées, reflets qui brouillent les plans, silhouettes tronquées, détails incongrus. Noël, chez lui, n’est pas un moment suspendu de pure magie : c’est une accumulation de signes, de rituels et de débordements visuels. Entre vitrines surchargées, sapins malmenés par la perspective et visages absorbés dans des gestes familiers, Friedlander révèle la comédie involontaire des fêtes de fin d’année. Loin du sentimentalisme attendu, Christmas explore une esthétique du trop-plein : trop de décorations, trop de guirlandes, trop de symboles. C’est précisément dans cette exubérance que le photographe trouve son matériau. Ses images, souvent prises sur le vif dans des rues américaines, dévoilent une société où le sacré et le commercial cohabitent en permanence, où les Pères Noël en plastique veillent sur les trottoirs comme des totems familiers. Ce livre, pourtant, n’est pas cynique. Friedlander observe plus qu’il ne juge. Les scènes domestiques, les enfants en pyjama, les intérieurs modestes baignés d’une lumière d’hiver composent un contrepoint tendre et mélancolique. Noël apparaît alors comme un moment de suspension, une parenthèse où l’ordinaire se charge d’une intensité particulière. L’ensemble fonctionne comme un grand catalogue des mythologies de la fête. On y trouve l’Amérique telle qu’elle se représente elle-même : consumériste, foisonnante, parfois absurde, mais aussi profondément attachée à ses rituels. Friedlander, en archéologue de l’image, en révèle les strates : traditions familiales, commerce omniprésent, quête de chaleur dans un monde froid. En refermant Christmas, on comprend que Friedlander n’a jamais cherché à livrer une célébration festive. Il propose plutôt une observation minutieuse du spectacle collectif qui entoure Noël, un spectacle où chacun est acteur malgré lui. Le résultat est un livre à la fois drôle, tendre et acerbe, où la photographie devient un instrument d’inventaire et de décalage. Un classique pour quiconque veut redécouvrir Noël à travers le prisme d’un des plus grands observateurs de la vie américaine. Le livre de 112 pages est maintenant disponible sur la boutique en ligne des éditions Eakins Press Foundation.